Panorama des forces et faiblesses de l’industrie alimentaire française

Le service Économie de l’ANIA vous présente le panorama des forces et faiblesses de l’industrie alimentaire française. Au menu : point sur la situation économique des IAA, cours des matières premières agricoles, compétitivité, innovation, pouvoir d’achat…

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Auteur

Stéphane Dahmani

Stéphane Dahmani

Directeur Economie

Au sein du département économie et compétitivité, Stéphane DAHMANI suit les dossiers relatifs à l’économie et la compétitivité du secteur agroalimentaire.

Son rôle est de représenter l’ANIA dans différentes instances (MEDEF…) et auprès des Pouvoirs Publics et d’apporter son expertise aux commissions, groupes de travail et services de l’ANIA. Ses principales fonctions sont d’assurer le suivi d’indicateurs économiques et de panel et la production d’une veille sur le secteur agroalimentaire. Il participe également à la rédaction de notes de conjoncture, de positions et d’argumentaires sur le secteur, dont il assure la synthèse et la diffusion auprès de nos différents adhérents (fédérations, entreprises).

Auparavant il était Economiste pendant 5 ans à la Direction Générale du Trésor. Il a notamment eu en charge, pendant 4 ans, la réalisation de prévisions macroéconomiques (Inflation, Consommation des ménages et Croissance) au sein du service des Politiques macroéconomiques et des affaires européennes (SPMAE) de Bercy. Plus récemment, il était le responsable du suivi des entreprises françaises (situation économique et financière) et rapporteur au sein de l’Observatoire du financement des entreprises, auprès de la Médiation du crédit.

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Au cours des sept dernières années, la situation économique des industriels alimentaires s’est dégradée. Éreintées par la crise économique de 2008-2009 qui a épuisé leurs réserves financières, les entreprises de la première industrie de France ont ensuite subi de plein fouet l’exceptionnelle volatilité des cours des matières premières agricoles. Depuis, l’industrie alimentaire peine à se redresser de manière significative. La situation économique de l’industrie alimentaire reste en effet pénalisée par une érosion tendancielle de la compétitivité et des surcapacités de productions persistantes.

 

Des leviers de croissance existent néanmoins : une forte qualité des produits, renforcée par une innovation régulière dans le secteur, pourrait venir satisfaire une demande qui serait pour la première fois depuis plusieurs années stimulée par des gains de pouvoir d’achat, directement induits par la chute du pétrole observable depuis juin 2014.

Introduction

Le poids de l’industrie alimentaire en France n’est plus à démontrer. Avec plus de 18 % du chiffre d’affaires industriel, 16 % de sa valeur ajoutée et près de 500 000 emplois, le secteur compte et pèse fortement dans l’activité économique de notre territoire.

 

Il compte car il transforme 70 % de notre agriculture et fait vivre de nombreuses exploitations mais aussi parce que 80 % des produits alimentaires consommés en France sont fabriqués localement. L’industrie alimentaire compte 98 % de petites et moyennes entreprises (PME) qui participent donc à l’aménagement du territoire français. C’est essentiel quand on sait que sur les 20 dernières années, 80 % des emplois créés l’ont été dans les PME. Enfin, parce que nous avons tous besoin de nous nourrir, l’agroalimentaire est une des valeurs refuges de la France, même en pleine tourmente financière et économique.

 

A titre d’illustration, fin 2014, la production dans l’industrie alimentaire présente environ 7% du PIB français. Les signaux de tensions sur ce secteur ne sont donc pas sans importance pour la croissance de l’activité économique dans son ensemble.

L’industrie agroalimentaire est en perte de vitesse et est confrontée à de nombreux freins, pour certains, structurels

L’essor de la grande distribution et sa concentration ont bouleversé le paysage de l’industrie alimentaire. Le secteur de la grande distribution s’articule autour de 7 enseignes principales alors que le secteur des IAA reste, lui, très émietté, comptabilisant près de 16 000 entreprises, pour 98 % de PME.

La donne a radicalement changé : le consommateur est plus influent et la grande distribution s’est renforcée. La défense du « pouvoir d’achat » du premier est devenue le cheval de bataille de la seconde.

 

A) L’exceptionnelle durée de la crise, couplée à la hausse du prix des matières premières, a fragilisé la situation financière de l’IAA.

 

 

L’excédent brut d’exploitation des entreprises de l’IAA s’est considérablement réduit depuis trois ans et se rapproche mi-2015 du creux atteint en 2009, au plus fort de la crise financière. Le secteur agroalimentaire est ainsi l’un de ceux qui a vu ses marges s’effriter de manière la plus importante depuis 7 ans. L’envolée du prix des matières premières (+150 % en 10 ans) est l’un des facteurs, mais il n’est pas le seul. La hausse de la fiscalité agroalimentaire, qui s’est intensifiée à partir de 2012, pèse également sur les marges des industriels de l’IAA, qui s’établissent en 2015 à un niveau inobservé depuis 1974.

 

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Dans cette chaine de valeur sous tension, les maillons les moins bien armés pour défendre leurs positions sont les premiers à souffrir. Depuis 2013, dans un contexte de modestie du point d’achat et de faiblesse de la consommation des ménages, la grande distribution s’est lancée dans une course effrénée aux prix les plus bas. Lorsqu’un marché global ne croît pas, la seule manière de progresser est de capter des parts de marchés aux concurrents. Chacun des grands acteurs de la distribution s’efforce donc d’être le plus compétitif sur les prix, érigés comme socle principal, voire unique, de la politique commerciale des enseignes. Or, cette concurrence par les prix, en raison du grand déséquilibre du rapport de force mentionné précédemment, est essentiellement financée par les fournisseurs qui n’ont souvent d’autre solution que d’accéder aux exigences tarifaires des distributeurs de peur d’être déréférencés.

Tableau2

Source : IRI ; Note de lecture : PGC (produit de grande consommation) ; HM (hyper marché) ; SM (super marché) ; MDD (marques de distributeurs)

 

Dans ce contexte, les industries agroalimentaires doivent faire face aujourd’hui à l’érosion de leurs profits. Cette illustration de la perte de compétitivité des entreprises de l’IAA est inquiétante.

 

B) Cette dégradation des performances économiques et financières pèse sur la capacité d’innovation et d’investissement des entreprises de l’IAA

 

Pour une entreprise, l’investissement mesure sa capacité à se projeter vers l’avenir. Dans l’IAA, la conjoncture, fortement dégradée depuis l’été dernier, altère fortement la visibilité et la confiance des industriels en l’avenir. L’ensemble de ces facteurs les incite à différer leurs investissements en 2015.

Les dernières estimations pour 2015 font en effet état d’une baisse de l’investissement dans l’IAA (-7% estimés en 2015 contre 1% prévu en octobre dernier et 7% en juillet 2015), inédite depuis 2010.

A noter que pour 2015, la baisse de l’investissement est également plus prononcée dans l’IAA que dans les autres secteurs manufacturés (-7% contre -2%). Pour mémoire, depuis 2011, l’investissement avait systématiquement été jugé plus dynamique dans l’IAA que dans les autres secteurs.

 

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L’IAA souffre, comme tout le tissu économique, d’un surplus de capacité de production. Les perspectives de demandes peinent à se redresser (consommation globalement atone et en repli sur longue période, faible investissement) et laissent les capacités de production partiellement utilisées.

 

Comme corolaire, l’ensemble des branches industrielles observe une perte de près de 800 000 emplois depuis 2000, soit 19% des effectifs observés cette année-là. L’industrie alimentaire, elle, constate un repli de 16 000 emplois, soit 3,2% de ses emplois salariés de l’époque. L’industrie alimentaire résiste donc globalement mieux que le reste de l’industrie, avec des emplois répartis sur le territoire.

 

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C) La dégradation de la compétitivité française se mesure par une perte de part de marché à l’exportation

 

La part de marché de l’IAA de la France recule dans presque toutes les régions du monde, à l’exception de la Chine, de Taiwan, de Hong-Kong, de la Corée du Sud et du Japon. Le recul le plus significatif se produit dans la zone d’Afrique du Nord, Proche-Orient et Moyen-Orient. La France contrôlait moins de 9% des importations de cette zone en 2013 contre près de 13% en 2005[1]. Comparable à celui de la zone euro en 2004, le solde commercial de l’industrie alimentaire française est aujourd’hui quatre fois plus faible. Le déficit s’est notamment creusé s’agissant des produits agroalimentaires hors boissons et tabac (-3,3 Md€ en 2015, dégradation de 500 millions d’euros par rapport à 2014).

 

[1]Source : Think Tank agroalimentaire des Echos, quels chantiers pour restaurer la compétitivité de la filière alimentaire française, édition 2015

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Des leviers de croissance existent toutefois dans l’IAA

A) L’innovation constitue un levier essentiel de la compétitivité des entreprises

 

Les entreprises alimentaires l’actionnent de manière régulière : plus de 3000 innovations « produits » sont mises sur le marché dans le secteur alimentaire chaque année[2]. Tous les 5 ans, un demi-supermarché est ainsi renouvelé. Le taux d’innovation dans l’IAA est l’un des plus élevés dans l’industrie. Sur la période 2010-2012, 61 % des entreprises ont innové contre 53 % pour l’ensemble des entreprises marchandes[3]. Ce taux est relativement proche de celui constaté dans l’information-communication (67 %), secteur considéré comme l’un des plus innovants.

 

 

L’introduction d’un produit nouveau sur le marché, marqueur d’une réelle capacité créative des entreprises est le fait de 20 % des entreprises de l’IAA. Là encore, ce chiffre excède celui observé pour l’ensemble des secteurs marchands (16 %). A noter également, que dans le secteur alimentaire, deux innovations sur trois ont un impact positif sur l’environnement[4].

 

 

Face à une érosion tendancielle de la compétitivité française ces dernières années[5], le secteur agroalimentaire montre sa volonté de résister par un effort d’innovation sans cesse renouvelé : depuis 2009, le montant des investissements incorporels[6] a triplé dans l’IAA, tandis qu’il a légèrement reculé dans le reste de l’industrie. Rapportée à l’EBE, l’évolution de l’investissement dans l’immatériel passe de 9 % à 20 % entre 2009 et 2013.

 

 

[2] Source XTC

[3] Source : Enquête CIS (2012), Eurostat

[4] Source : Agreste (2011) « l’agroalimentaire innove en faveur de l’environnement »

[5] Gallois (2012), « Pacte pour la compétitivité de l’industrie française »

[6] Cette notion recouvre aussi bien les dépenses liées à la recherche et développement, de formation, de logiciels et celles liées à l’action commerciale. Elle permet donc d’apprécier la création de valeur dans un secteur économique et son degré d’innovation de manière la plus globale possible (innovation produits, procédés, organisation et marketing).

 

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Si elle voit son poids économique se renforcer, cette activité d’innovation possède une marge de progression encore importante. Directement liées à la production, les innovations technologiques constituent un enjeu particulièrement important pour le développement des entreprises. Elles permettent notamment la diversification face à la concurrence et un renforcement des performances à l’export. Dans l’IAA, le poids de ces innovations, s’il se renforce depuis 4 ans, reste toutefois encore inférieur à celui des innovations non technologiques (50 % des innovations).

 

tableau7

 

Dans l’IAA, cette tendance peut s’expliquer par une défaillance de marché sur le financement de l’activité. Dans l’industrie agroalimentaire, le financement en fonds propres passe davantage par des financements publics[7]. L’émiettement du paysage de l’industrie agroalimentaire (76 % de TPE, 22 % de PME), rend en effet la présence d’investisseurs habituels du capital investissement, principal mode de financement des firmes innovantes, peu fréquente[8].

Pour les entreprises agroalimentaires, les difficultés portent principalement sur la complexité administrative des systèmes de financement et la multiplicité des interlocuteurs. Si une entreprise veut pouvoir bénéficier d’une aide, elle doit pouvoir :

  • Identifier le système de soutien adapté à son projet. Cela passe par la connaissance du mille-feuille des organismes publics de financement (BPI, agences régionales de développement, FranceAgriMer, Conseils régionaux, ANR…).
  • Etre capable d’utiliser la forme et le vocabulaire exigés par les commissions d’experts. Le plus souvent, il est nécessaire de faire appel à des sociétés qui en connaissent les mécanismes pour faciliter l’acceptation des dossiers.

 

Il demeure ainsi important de mieux orienter les entreprises de l’IAA face à ce mille-feuille que constituent les aides à l’innovation, d’autant que d’un point de vue macroéconomique, le manque de fonds personnels et la cherté des activités d’innovation constituent le premier frein à l’innovation des TPE et PME. Au total, près de 50 % des entreprises des industries agroalimentaires technologiquement innovantes déclarent avoir reçu un soutien financier public pour leur activité d’innovation. Ce chiffre est inférieur à celui constaté dans le reste de l’industrie manufacturière (61 %).

 

 

[7] Source : Ministère de l’Agriculture, de l’Agroalimentaire et de la Foret, Panorama des industries agroalimentaires, édition 2014

[8] Dans le secteur agroalimentaire, les investisseurs habituels du capital investissement sont peu présents. Au 31 décembre 2010, parmi les 3 326 entreprises pour lesquelles, l’AFIC (association française des investisseurs pour la croissance) dispose des codes NAF (sur 4 525 entreprises au total) seulement 36 ont une activité dans le secteur de l’agroalimentaire (soit 1,1 %). Entre le 1er janvier 2003 et le 30 juin 2011, pour les 2 828 entreprises ayant été investies par le Capital Investissement français et pour lesquelles l’AFIC dispose du code NAF (sur 6 538 au total), seulement 44 ont une activité dans le secteur de l’agroalimentaire (soit 1,6 %).

 

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B) Le redressement de la confiance et du pouvoir d’achat récemment observé pourrait stimuler la demande de produits agroalimentaires

 

Contrairement aux idées reçues, la consommation alimentaire des ménages s’inscrit dans la catégorie des « dépenses arbitrables », dont l’évolution reste déterminée par le pouvoir d’achat. Dans un contexte de modestie du pouvoir d’achat, la consommation alimentaire a très nettement ralenti ces dernières années. La baisse très sensible du prix du période, observable depuis mi-2014 et qui s’est prolongée ces dernières semaines, stimule le pouvoir d’achat, ce qui pourrait être favorable à une reprise des dépenses d’un point de vue prospectif.

Vecteur important de consommation, la confiance des ménages s’est également graduellement redressée depuis plusieurs mois. En particulier, les perspectives de niveau de vie atteignent un niveau inobservé depuis 2007. L’opportunité d’achat se redresse également, témoignant d’une plus grande appétence à la consommation et un repli des comportements de précaution. Ces facteurs pourraient ainsi enrayer le recul structurel des dépenses alimentaires dans le budget des ménages. Depuis plus de 30 ans, le poids de l’industrie agroalimentaire dans le budget des ménages s’est en effet réduit. Il a perdu au total 4 points depuis 1975.

 

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Conclusion

Si l’industrie agroalimentaire suit le même mouvement d’affaiblissement que le reste de l’industrie, elle a cependant montré sa volonté de résister : moins de pertes d’emplois, un chiffre d’affaires qui poursuit sa progression, un solde commercial qui est le deuxième contributeur à la balance commerciale française, un ancrage sur le territoire qui permet à chacun de trouver un emploi à proximité, une forte qualité de produits, un débouché plus qu’important pour l’agriculture française.