Cette année encore, les entreprises ont subi de plein fouet, lors des négociations commerciales 2018, la guerre des prix menée par la grande distribution. L’annonce, hier mardi 3 avril, par les distributeurs Casino, Auchan et Système U d’un projet d’alliance mondiale pour leurs achats fait craindre aux entreprises un rapport de forces encore davantage déséquilibré : les entreprises alimentaires feraient face à seulement 3 centrales d’achat.
L’ANIA est très inquiète des conséquences d’une telle alliance pour l’ensemble de la filière. Les dangers sont multiples : des producteurs qui ne peuvent plus vivre de leur travail, des entreprises qui n’ont plus les moyens d’investir ni d’innover, des PME fragilisées qui disparaissent, des groupes étrangers qui réduisent leurs investissements en France… Tout cela au détriment des emplois, du savoir-faire français et d’une alimentation plus saine et durable.
L’ANIA appelle les autorités compétentes, et notamment l’Autorité de la Concurrence, à prendre position sur la légalité de cette alliance, notamment en matière d’entente illicite. Il est également majeur de s’assurer que ce montage, qui vise à mutualiser les achats au niveau international, n’est pas un moyen d’échapper à la loi française.
Concentration des enseignes : une menace pour la filière alimentaire
Cette alliance, si elle aboutit, permettra à la centrale d’achat constituée de détenir à elle-seule 32 % de parts de marché, avec des pouvoirs décuplés pour maintenir une pression maximum et négocier des prix toujours plus bas auprès de tous leurs fournisseurs.
C’est un nouveau palier qui est franchi dans le mouvement de concentration des centrales d’achat de la grande distribution. Ces mouvements de regroupements à l’achat, en cours depuis fin 2014, ont fortement amplifié la guerre des prix et sont en grande partie responsables de la destruction de valeur dans la filière alimentaire et spécifiquement pour l‘industrie alimentaire.
Ce regroupement cible les achats des produits alimentaires des grands groupes de marques nationales vs les produits agricoles et les produits issus des PME ou ETI. Pourquoi cette différenciation, alors que le constat et les propositions des Etats généraux de l’alimentation portaient sur un rééquilibrage des relations commerciales pour mettre fin à la guerre des prix sur tous les produits alimentaires ?
Il est important de rappeler qu’aujourd’hui pour attirer les consommateurs dans leurs rayons, les enseignes de la grande distribution se livrent une course au prix bas sur des produits très bataillés de grandes marques qu’ils vendent sans marge. Pour compenser cette perte de marge, ils appliquent de très fortes marges sur d’autres produits, notamment les produits agricoles (fruits, légumes, etc.) ou issus de PME locales.
C’est tout l’objet du projet de loi alimentation en cours de discussion à l’Assemblée Nationale, qui doit permettre de rééquilibrer les marges sur l’ensemble des produits alimentaires consommés par les français afin de redonner de l’oxygène à tous les acteurs de la filière.
Bilan des négociations commerciales 2018 : une guerre des prix qui perdure malgré les EGA
Cette annonce intervient à un moment charnière, alors que les entreprises alimentaires ont dû faire face à une période de négociations commerciales 2018 particulièrement violente.
Le premier bilan de l’Observatoire des négociations commerciales de l’ANIA réalisé après la fin des négociations* confirme la persistance de la course au prix toujours plus bas au détriment de discussion autour du produit, de sa qualité, de sa durabilité, des démarches de filières vertueuses.
Ce bilan fait également état d’une généralisation des comportements abusifs et mauvaises pratiques toujours plus agressives, dans les box de négociation des enseignes de la grande distribution.
Des demandes de déflation de principe complétement déconnectées du marché, une augmentation du coût des matières premières non prise en compte pour près des 3/4 des entreprises :
- 47% des entreprises consultées ont signé en déflation (en moyenne 2%) et pour celles qui ont réussi à passer une légère hausse de tarif, cette dernière est bien loin de couvrir leurs besoins :
- 90% des entreprises avaient en effet besoin d’une hausse de tarif afin de conduire leur stratégie commerciale (un besoin atteignant en moyenne 3%).
- Pour 71% des entreprises consultées l’augmentation du coût de leurs matières premières n’a pas été prise en compte ;
- Et si 37% ont obtenu une hausse de tarif (avoisinant les 1,5%), cette hausse s’avère bien éloignée de leurs besoins.
- Des négociations qui s’apparentent à un véritable chantage : 69% des entreprises consultées ont subi des menaces de déréférencement et 22% des déréférencements effectifs en cours de négociation.
Un rapport de forces déséquilibré qui affaiblit les entreprises (aujourd’hui seules 4 centrales d’achat négocient la quasi-totalité des produits vendus dans les supermarchés français) :
- 5% des entreprises consultées affirment que les rapprochements d’enseignes (alliances à l’achat) ne représentent pour elles aucune source d’opportunité commerciale.
- 67% d’entre elles considèrent que ces rapprochements ont pour effet d’intensifier les pratiques abusives subies par les entreprises.
Des demandes de financements complémentaires au profit de centrales basées à l’étranger qui constituent une véritable évasion de capitaux et une tentative de contourner la loi française :
- 34% des entreprises ont été confrontées à des demandes de financements complémentaires au profit de centrales basées à l’étranger.
- Près de la moitié d’entre elles estime que ces négociations internationales mettent une pression supplémentaire sur les négociations des accords français.
* Données récoltées entre le 5 au 16 mars 2018 sur de 120 entreprises de toutes tailles, majoritairement PME et ETI, et de secteurs alimentaires variés.